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Une nouvelle version synthétisée de la substance contenue naturellement dans les champignons hallucinogènes semble prometteuse dans les traitements de l’anxiété et de la dépression chez les patients atteints de cancer, selon de nouvelles études.
C’est au milieu de la matinée que Carol Vincent, propriétaire d’une petite entreprise de marketing à Victoria, en Colombie-Britannique, s’assoit et avale une capsule remplie de psilocybine pure et synthétisée. Beaucoup de gens sont familiers avec la version « naturelle », qu’on trouve dans les champignons « dits » magiques, qui ont des effets semblables au LSD et sont interdits en vertu de la loi fédérale [américaine]. Carol, cependant, a pris part à une expérience scientifique formelle, dirigée par une équipe de l’Université Johns Hopkins, afin de déterminer si le médicament pourrait effectivement soulager la détresse psychologique chez les patients luttant contre le cancer.
Six ans plus tôt, elle est diagnostiquée avec un lymphome folliculaire non hodgkinien, une forme de croissance lente du cancer du sang qui est considérée comme traitable, mais non curable. « Après quelques années, ma santé était correcte, mais j’avais l’impression de marcher avec une enclume au-dessus de la tête », se souvient Carol. « J’étais dans cet état permanent d’anxiété profonde et de dépression. J’avais cette impression que la vie ne serait plus jamais amusante. »
Ce matin-là, à Baltimore, a lieu la première expérience psychédélique de Carol. Alors que deux guides expérimentés s’asseyent en face d’elle, elle abaisse son masque de nuit, ajuste son casque-audio et s’allonge pour attendre ce qui doit advenir.
Selon Roland Griffiths, le neuro-pharmacologue qui dirige l’équipe de recherche de l’hôpital John Hopkins, pas moins de 40 pour cent des patients atteints de cancer souffrent d’un trouble de l’humeur, tel que l’anxiété ou la dépression. Deux études publiées jeudi dans le Journal of Psychopharmacologie suggèrent que la psilocybine peut s’avérer Sacrément utile. Vincent était le dernier d’une liste de 51 patients cancéreux prenant part à l’essai à l’hôpital Hopkins. Six mois après une seule séance de dosage, l’étude a révélé que plus de 80 pour cent avaient su maintenir une amélioration « cliniquement significative » de leur humeur et de leurs niveaux d’anxiété.
Professeur au Département de psychiatrie et de neurosciences de l’École de médecine de l’Université Johns Hopkins, le Dr. Dr. Roland Griffiths
Une étude similaire à l’Université de New York comprenait quant à elle 29 volontaires ; au cours du suivi, entre 60 et 80 pour cent ont fait preuve d’une amélioration significative à différents tests de bien-être psychologique.
Pour Griffiths, « ce qui rend les études si uniques, c’est que l’on parle d’une seule intervention : une période de quatre à six heures qui produit des changements rapides et durables. »
Tandis que les journaux sont rédigés dans le langage méticuleux de la science académique, les témoignages de patients offrent quant à eux une perspective unique de ce qu’implique ce traitement, ainsi qu’un aperçu du défi que pose cette approche aux méthodes conventionnelles de la psychiatrie.
Un jour avant sa session avec cette substance, Carol rencontre Mary Cosimano et Taylor Marcus, les chercheurs de Johns Hopkins qui seront assis avec elle pendant le trip. « Ils m’ont coachée et m’ont dit que les gens éprouvaient parfois des choses effrayantes », se souvient Carol. « Ils m’ont prévenu :« Si cela vous arrive, ne vous enfuyez pas, allez-y ! Pensez-vous pouvoir le faire ? » Ce à quoi je leur ai répondu :« J’ai sauté en parachute pendant dix ans et j’avais peur, mais je pouvais quand même sauter. »
Alors que la drogue commençait à faire effet, Vincent se souvient : « C’était réellement comme une expérience de l’hyper-espace… pas du type nuit étoilée, mais plutôt un espace noir et profond… très impressionnant, mais très sombre, impersonnel… Puis j’ai commencé à tout voir en technicolor, puis des choses sur Terre, comme cet incroyable cristal turquoise… La moitié du temps je riais et l’autre, je pleurais, mais c’était tellement magnifique. »
Patrick Mettes, volontaire à l’étude de l’université de New York (NYU), a également soigneusement pris des notes au sujet de son expérience. « Plus d’une fois, j’ai eu l’impression que mon voyage et l’expérience globale de la psilocybine contenait les éléments d’un arc narratif classique (exposition, apogée, résolution) » pouvait-on lire. « Je pouvais sentir mon corps physique s’efforçant de vibrer à l’unisson avec le cosmos… On me disait (sans mots) de ne pas m’inquiéter du cancer, que c’était mineur dans le grand ordre des choses, une simple imperfection de notre humanité, et que les questions les plus importantes, le réel travail à accomplir, restait à venir. »
À bien des égards, ces études nous ramènent à une époque antérieure : pas le monde de la contre-culture des années 60, mais une période de recherche médicale presque révolue à jamais. Entre la découverte du LSD par Albert Hofmann en 1943 et le début des années 1970, plus de milles documents de recherche ont été publiés sur les utilisations potentielles du LSD, de la psilocybine et de médicaments similaires.
Le docteur Stephen Ross, le psychiatre qui a dirigé l’étude de la NYU, affirme qu’il ne savait rien de cette histoire jusqu’à ce qu’un collègue, le Dr Jeffrey Guss, lui en fasse part il y a quelques années. « Quand j’ai regardé tout ça d’un peu plus près, j’étais stupéfié. » explique Ross. « Cela concernait certains des plus grands psychiatres de l’époque, et c’était un tout nouveau paradigme de soins qui s’ouvrait à nous, avec pour objet central la question des états mystiques. »
Alors que la notion d’un « état mystique » semble floue, les chercheurs ont développé une échelle, le Questionnaire d’Expérience Mystique, ou MEQ30, pour tenter de le quantifier. Dans le MEQ30, on pose aux participants des questions telles que s’ils ont eu « une expérience d’unité avec la réalité ultime » ou « une conscience de la vie ou d’une présence vivante en toutes choses ». Dans les études récentes, un score plus élevé au MEQ30 – plus mystique, pour ainsi dire – est fortement corrélé à une amélioration.
Lors d’une étude antérieure à Hopkins, une majorité des volontaires sains qui ont pris de la psilocybine ont évalué cette expérience comme figurant parmi les cinq plus significatives de toute leur vie. Ces personnes avaient simplement passé un après-midi dans une salle de clinique médicale, accompagnées de deux personnes quasi-inconnues. Et pourtant, cette notion d’un sens profond revient toujours et encore.
« Je la classe parmi toutes les plus grandes », dit Vincent. « D’abord, la naissance de mon fils. Puis mes deux mariages. Et honnêtement, celle-ci [cette séance de champi] vient ensuite. »
Les projets de la NYU et de Hopkins ont été soutenus financièrement par le Heffter Research Institute, une organisation à but non lucratif qui examine et finance les recherches ayant pour objet les psychédéliques. George Greer, le directeur médical de Heffter, affirme qu’ils ont été largement inspirés par le travail de Dr. Stanislav Grof, un éminent pionnier de la recherche psychédélique qui a mené plus de 4000 séances de thérapie sous LSD et rapporté que le cette substance pourrait soulager l’anxiété et le désespoir.
La prochaine étape, dit Greer, est de parvenir à reproduire ces résultats dans une étude de plus grande envergure. Il nous a dit qu’un autre groupe, l’institut Usona basé au Wisconsin, œuvre actuellement à la conception d’une prochaine série d’essais sur la psilocybine, mais Malynn Utzinger, PDG d’Usona, estime que les projets n’en sont encore qu’aux préliminaires.
Un effort parallèle est en cours en Europe, à travers lequel COMPASS, un organisme britannique de recherche médicale, a rencontré des régulateurs de l’Agence européenne des médicaments pour discuter de la faisabilité d’essais cliniques en vue de permettre à des patients d’accéder à ce type de thérapie à base de psilocybine, « dans des domaines ou les besoins médicaux ne sont significativement pas satisfaits. » Un certain nombre d’institutions universitaires européennes planifient leurs propres études avec ce médicament.
L’agence fédérale américaine de contrôle des aliments et des drogues, la FDA, travaille déjà sur les détails d’une étude de phase 3 pour tester le MDMA –mieux connu sous le nom d’ecstasy– dans le cadre d’un traitement pour les troubles de stress post-traumatique. De études plus restreintes ont été menées, ou sont en cours, à propos de la psilocybine contre la dépression, les troubles obsessionnel-compulsifs, l’anxiété chez les adultes atteints d’autisme, et contre les addictions à l’alcool, à la cocaïne et au tabac. Une poignée d’études en Europe testent actuellement le LSD et d’autres psychédéliques pour des utilisations similaires.
Au-delà de leur caractère étrange, les études psychédéliques présentent certains défis uniques. Dans la recherche médicale, les effets d’un médicament sont généralement comparés à ceux d’un placebo. Dans une étude dite « aveugle », ni le chercheur ni le sujet ne savent si ce dernier a reçu le placebo ou le médicament examiné par l’étude. Lorsque le médicament de l’étude est à même de produire de puissantes expériences mystiques et des hallucinations ahurissantes comme celles engendrées par la psilocybine, maintenir le côté « aveugle » peut s’avérer difficile au point d’en être absurde.
La NYU et Johns Hopkins ont adopté deux approches différentes du problème. À l’Université de New York, les participants ont reçu une dose de Niacine, une vitamine qui accroît modérément la vigilance et produit une légère sensation de picotement. Chez Johns Hopkins, les chercheurs ont eu recours à une faible dose de psilocybine, avec des effets à peine perceptibles. Griffiths a confié que son équipe s’était donnée du mal pour maintenir l’illusion, en procédant comme si chaque séance utilisait la dose la plus élevée. Dans un résultat pour le moins intrigant, 24 pour cent des patients n’ayant pas reçu le médicament actif, mais le placebo – la dose minime de psilocybine – ont néanmoins classé cette expérience parmi les plus significatives de toute leur vie. Ce résultat suggère que le sens du rituel, et pas uniquement la drogue en elle-même, constitue une partie déterminante de l’expérience (cf. « Set & Setting »).
Concernant la sécurité, la plupart des experts perçoivent peu de danger associé à la prise de ce médicament dans un environnement contrôlé. « Vous ne pouvez pas faire d’overdose, et vous ne pouvez pas devenir accro », explique le Dr Jeffrey Lieberman, président du département de psychiatrie à l’Université de Columbia et ancien président de l’American Psychiatric Association, qui n’est pas associé à ces études, mais qui a rédigé un commentaire accompagnant leur publication. Même pour les utilisateurs récréatifs, dit-il : « Le seul risque réside dans le fait qu’une personne en état d’ébriété entreprenne quelque-chose chose de stupide, et qu’une fraction d’entre eux subissent un effet défavorable plus prolongé dû à la prise du produit [psychédélique]. »
La psilocybine a tendance à augmenter la pression artérielle pendant le voyage, le fameux « trip », et les patients souffrant de maladies cardiaques ont été exclus des études de la NYU et de Hopkins, tout comme ceux qui avaient des antécédents psychiatriques, même dans leurs familles élargies. Griffiths considère cette dernière décision, « probablement un abus du principe de précaution. »
Carol Vincent raconte que le jour où elle a su que son amélioration était durable a eu lieu quelques mois après qu’elle soit rentrée chez elle en Colombie-Britannique, « Je me rendais en voiture à une réunion par une belle journée ensoleillée, en écoutant de la musique que je fredonnais à tue-tête, quand j’ai soudainement réalisé – oh mon Dieu, je suis heureuse. « Ça ne m’était jamais arrivé. »
Patrick Mettes, le volontaire de NYU qui a écrit au sujet de sa vibration avec le cosmos, a eu une très mauvaise pioche. Il se sent en parfaite santé lorsque sa femme, Lisa Callaghan, remarque une teinte jaunâtre dans ses yeux. Il réside juste à un pâté de maisons d’un service d’urgence, et c’est ainsi qu’après une visite plutôt tranquille à son café habituel, il s’en va se renseigner au sujet de son œil déficient. C’est là qu’on lui apprend que ses voies biliaires – petits tubes à l’intérieur du foie – sont infestées de cellules cancéreuses. Avant de prendre connaissance de l’étude, il a lutté contre la maladie pendant quatre ans, perdant progressivement pieds.
Callaghan confie qu’il était en quête d’un sens profond derrière la maladie. Si l’on en croit les notes qu’il a écrites après sa session, il semble qu’il en ait trouvé un : « Ma vie a changé d’une façon que je ne pourrai jamais appréhender complètement. Mais j’ai désormais une meilleure compréhension… une conscience qui va au-delà de l’intellect… que ma vie, que toute vie, et tout ce qui constitue l’univers, n’a d’égal qu’une chose… vivre. Et c’est bon ! »
Treize mois plus tard, Patrick subi une crise cardiaque massive. Il vit encore deux mois, se nourrissant à peine, avant de mourir. Sa femme dit qu’il était en paix. « Il savait qu’il allait quelque part, même s’il ne savait pas où », se souvient-elle. « Il a juste dit, “Je voudrais que vous puissiez venir avec moi.” »
Elle dit que l’expérience l’a également changée. « Quand j’envisage la mort, je ne la crains plus désormais. Plus du tout. »
Article original PBS : http://www.pbs.org/newshour/updates/treatment-hallucinogenic-mushroom-drug-shows-promise-patients-deep-anxiety/#.you.facebook
Traduction : Philippe J M Morel